Les Potages


Considérations Générales

Les préparations que nous désignons sous le nom de Potages sont, du moins dans leur forme actuelle, d'origine relativement récente, et ne remontent guère au delà des premières années du dix-neuvième siècle.
Les Potages de l'ancienne cuisine étaient, en réalité, des mets complets. Ils comprenaient toujours, outre l'élément liquide qui, de nos jours, a seul conservé le nom de Potage, la totalité des viandes, volailles, gibiers ou poissons, qui avaient servi à leur préparation, ainsi que les légumes de la garniture.

Les Hochepots flamands, les Oï1les espagnoles, nos Petites marmites même, pour n'en citer que quelques-uns, sont des échantillons des Potages d'autrefois qui ont survécu à l'ancienne cuisine. Encore ne nous en donnent-ils qu'une idée affaiblie, parce que la composition en est toujours plus ou moins simplifiée, quand on les sert de nos jours.

Ces préparations participaient, en somme, de la confusion qui régnait dans les menus d'alors, où nulle gradation ne réglait, d'après l'appétit progressivement satisfait des convives, la marche des mets servis, et où la profusion de ces mets, bien plus que leur judicieuse répartition, était la caractéristique des menus.
Sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, l'Art culinaire doit beaucoup à Carême. S'il ne fut pas, à proprement parler, l'initiateur des transformations qui préparèrent l'avènement des méthodes actuelles, du moins, contribua-t-il puissamment à la diffusion des théories nouvelles.
Il fallut néanmoins, à ses successeurs, près d'un siècle pour amener les Potages à l'état de perfection où nous les voyons aujourd'hui.
Toutefois, en réalisant des préparations savoureuses, légères, idéales de finesse et de goût, ceux-ci ne se préoccupèrent peut-être pas suffisamment de justifier les dénominations qui furent appliquées aux nouveaux Potages, et l'on voit très souvent, en ce qui concerne les Potages liés surtout, la même formule désignée indifféremment sous les noms de Bisque, Purée, Coulis, Velouté, ou Crème ; alors que, logiquement, chacun de ces termes doit désigner une préparation dont la formule diffère absolument de celle des autres.
De là, une regrettable confusion, à laquelle nous avons remédié dans cet ouvrage, et non sans difficulté, en caractérisant nettement chaque genre, et en classant rationnellement les diverses formules.
Nous sommes partis de cette observation :

Il était donc absolument nécessaire de bien préciser chaque genre, et de combler ainsi une lacune de la technologie culinaire.
Le résumé suivant, de la caractéristique de chaque genre, montrera la porté de la réforme que nous avons voulu accomplir.


CLASSIFICATION DES POTAGES

Au point de vue des Services, les Potages se divisent en deux grandes classes :
  1. Les Potages Clairs
  2. Les Potages Liés
Un grand menu comporte toujours un potage au moins de chaque classe; pour les menus ordinaires, les deux classes alternent généralement si ces menus ne comportent qu'un seul Potage, lequel est adopté selon l'ordonnance générale du menu.

Potages clairs

Les Potages clairs, quel que soit l'élément de base dont ils dérivent, soit : viande de boucherie, volaille, gibier, poisson, crustacés. tortue, etc., ne comportent qu'un seul genre :
Ce sont des consommés clairs, ou, parfois, très légèrement liés au tapioca et ne comportent qu'une sobre garniture, mise en rapport avec leur nature.

Potages Liés

Les Potages liés comprennent cinq genres bien distincts qui sont :
  1. Les Purées, Coulis, ou Bisques ;
  2. Les Crèmes ;
  3. Les Veloutés ;
  4. Les Consommés liés ;
  5. Les Potages spéciaux composés, dont la formule est invariable, et participe de plusieurs genres.

Pour simplifier notre classification, nous avons placé les Consommés liés, tels que le Germiny dans les Potages spéciaux, pour la raison expliquée en tête de leur série.
Les Potages des trois premiers genres ont une purée quelconque pour base, et ne diffèfent entre eux que par le principe initial de liaison.
pour les purées, les Coulis, et les Bisques, ce principe de liaison est, selon la nature des éléments en traitement : le riz, le pain frit, ou un légume féculent, comme pomme de terre, haricots, lentilles, etc., dont les proportions sont strictement déterminées par celles de l'élément principal, ainsi que nous l'établissons dans la Notice précédant le Chapitre des Potages liés.
Pour les crèmes et les Veloutés, la liaison est à base de roux blanc; ces deux genres de Potages liés ne diffèrent entre eux que par le facteur de liaison, et la mise à point finale.
Cette mise à point finale comporte invariablement une liaison avec jaunes d'oeufs et beurre pour les Veloutés; tandis que les Crèmes n'admettent pas de liaison, et que le beurre y est remplacé par une addition relative d'excellente crème.
C'est, avec le principe de liaison de base, ce qui établit la différence bien tranchée entre les deux genres.

Il importe de bien observer que les termes de Purée, de Coulis, et de Bisque, bien que désignant des Potages dont le mode de préparation est sensiblement identique, ne sont pas synonymes, et ont, au contraire, une signification bien distincte.
L'usage s'est établi d'appliquer le mot de Purée aux seuls potages à base de légumes, et encore, la vulgarité du terme fait que la tendance à l'abandonner s'accentue de plus en plus. Le terme Coulis s'applique plus justement aux purées de volaille, de gibier et de poissons ; voire à celles de Crustacés.
Cependant, en ce qui concerne ces dernières, le terme Bisque prévaut et caractérise à lui seul le genre de préparation : bien qu'à son origine, et jusqu'à la fin du dix-huitième siècle, on appelât couramment "Bisque" des potages à base de volaille et de pigeonneaux.
Beaucoup de Potages liés ayant le même élément de base peuvent, par une simple transposition d'apprêts, qui sera expliquée plus loin, être servis sous forme de Purées, de Crèmes ou de Veloutés.

Dans notre première Edition, nous avions divisé ces Potages en trois séries, comprenant : ,

  1. Ceux pouvant se servir indifféremment sous forme de Purées, Veloutés ou Crèmes ;
  2. Ceux ne pouvant être servis que comme Purées ou Crèmes ;
  3. Ceux étant susceptibles d'être servis sous forme de Veloutés ou de Crèmes.
Pour logique qu'ait été la division, nous avons compris qu'une classifcation plus simple, facilitant les recherches, s'imposait. Nous avons donc réuni les Potages de ces trois séries en une seule; en les classant alphabétiquement, et en indiquant, à la suite de chacun d'eux, les divers modes d'apprêt qu'il est susceptible de recevoir.
Notre nouvelle classification des recettes par séries a, en conséquence, été établie ainsi :


Considérations sur le Service des Potages.

Nous ne voulons pas entreprendre de réfuter ici les arguments de certains gourmets qui, il y a quelque dix ans, avaient entrepris une croisade contre le Potage, et juré son abolition.
Le sujet serait intéressant à traiter, mais il nous entraînerait dans des dissertations auxquelles notre cadre ne se prête pas.
Nous ferons simplement appel à la magistrale autorité de Grimod de la Reynière, qui a prononcé un véritable apophtegme en disant à ce sujet:
"Le Potage est à un dîner ce qu'est le portique ou le péristyle à un édifice; c'est-à-dire que, non seulement il en est la première pièce, mais qu'il doit être combiné de manière à donner une juste idée du festin, à peu près comme l'ouverture d'un Opéra-Comique doit annoncer le sujet de l'ouvrage."

L'idée de l'illustre gastronome est aussi la nôtre : l'utilité du Potage , nous semble indiscutable et, dans la rédaction d'un menu, il n'est pas un praticien qui n'en comprenne la sérieuse importance et la nécessité absolue.
De toutes les articles qui composent le programme gourmand qu'est un menu, les potages sont ceux qui exigent la plus sévère attention et la plus délicate perfection ; car, de l'impression bonne ou mauvaise qu'ils produisent sur le convive, dépend, en grande partie, le succès du reste du diner.

Le Potage doit être servi brûlant, dans des assiettes aussi chaudes que possible: c'est là un point capital (surtout s'il s'agit d'un Consommé) et qu'il ait été précédé de Hors-d'oeuvre froids.

Les Hors-d'oeuvre, dans un dîner, sont un non-sens ; et l'on devrait, même quand ils sont figurés par des Huîtres, les admettre seulement aux repas qui ne comportent pas de Potages.
Ces Hors-d'oeuvre qui comprennent des poissons divers, à l'huile ou fumés, ou des salades fortement condimentées, laissent au palais du convive une impression savorique néfaste; ils lui font trouver fade et insipide le Potage qui les suit, s'il n'est pas servi absolument brûlant.
On conçoit dès lors que l'obligation de servir très chaud, laquelle est un des principes fondamentaux des services et de la cuisine, s'impose comme une nécessité absolue quand il s'agit des Potages.


PRECIS DES ELEMENTS NUTRITIFS, AROMATIQUES
et de l'assaisonnement pour la Petite Marmite,
les Grands Bouillons
et la clarification des Consommés divers.




Pour obtenir 10 litres de Consommé blanc simple.

Eléments nutritifs ; Eléments aromatiques . Mouillement ; 14 litres d'eau froide.
Assaisonnement ; 70 grammes de sel gris.
Temps de cuisson ; 5 heures.
Observation sur la conduite de ce Consommé.
L'usage est de donner environ 5 heures de cuisson au Consommé simple, et ce temps est plus que suffisant, pour extraire de la viande de boeuf les sucs nutritifs qu'elle contient.
Par contre, il est absolument insuffisant pour opérer la désagrégation des os, et assurer l'extraction de leurs principes solubles. Pour obtenir ce résultat très important, une cuisson lente de 12 à 15 heures est nécessaire.
Aussi, l'habitude s'établit-elle de plus en plus dans les grandes cuisines, de marquer, avec les os concassés, un premier Consommé qui sera laissé au moins 12 heures au feu.
Ce consommé sert ensuite à mouiller une seconde marmite qui est marquée avec la viande seule, et qui ne reste au feu qu'environ 4 heures, c'est-à-dire le temps strictement nécessaire à la cuisson de la viande.
On peut encore abréger la durée de cette seconde opération, en hachant la viande et les légumes au lieu de les laisser entiers. On procède, dans ce cas, comme pour une Clarification Ordinaire.


Petite Marmite pour 10 personnes.

Eléments nutritifs ; Comme mouillement ; 3 litres de bouillon blanc, dont l'assaisonnement doit être observé pour la mise à point finale.
Eléments aromatiques ; Nota . - Le Consommé de la Petite Marmite ne se clarifie pas. Il ne tient sa valeur que des éléments qui le composent, et des soins méticuleux apportés dans sa préparation. On le sert toujours légèrement gras.
Sa saveur spéciale, différente de celle du Consommé clarifié, doit rappeler celle du Pot-au-feu familial, et se retrouver nettement accusée dans les Potages tels que Croûte au pot, Consommé à la Bouchère, etc.. qui ont le Consommé de la Petite Marmite pour base. La seule différence à observer c'est que ces Consommés n'exigent pas absolument l'emploi de volaille dans leur préparation, tandis qu'il est rigoureusement obligatoire pour la Petite Marmitre.


Pour obtenir 10 litres de Consommé simple de Gibier.

Eléments nutritifs : Eléments aromatiques : Mouillement : 11 litres et demi d'eau. Assaisonnement : 70 grammes de sel. Temps de cuisson : 3 heures.


Pour obtenir 10 litres de Consommé simple de Poisson.

Eléments nutritifs ; Eléments aromatiques ; Mouillement : 9 litres et demi d'eau et un litre de vin blanc.
Assaisonnement : 80 grammes de sel.
Temps de cuisson : 40 à 50 minutes, à petite ébullition.


Tisane de Boeuf (Beef-tea) et Gelée de viande pour malades.

Pour 5 décilitres de Beef-tea : La hacher finement ; puis la travailler dans une terrine en lui faisant absorber petit à petit 1 décilitre et demi d'eau filtrée. Laisser bouillir tout doucement pendant 3 heures en ayant soin de remettre un peu d'eau bouillante de temps en temps pour compenser la perte produite par l'évaporation.
Retirer ensuite la marmite du feu et, lorsque l'eau n'est plus que tiède, sortir l'ustensile.
Verser son contenu sur une serviette et laisser passer.

Pour la gelée de viande ; Procéder de même, en ajoutant à la viande de boeuf 200 grammes de chair de pied de veau, blanchie et coupée en petits carrés.
Lorsque la gelée est passée, la verser dans de petites tasses et laisser prendre.


CLARIFICATIONS


Pour 4 litres de Consommé ordinaire.

Quantité de Consommé blanc : 5 litres pour obtenir 4 litres de Consommé fini.
Eléments nutritifs : Un kilo 500 de viande de boeuf très maigre, bien dénervée et hachée.
Eléments aromatiques : Eléments de clarification : 2 blancs d'oeufs.
Temps nécessaire : Une heure et demie.
Principe de clarification.
Rassembler dans une casserole ou une petite marmite : Bien mélanger le tout ; Passer ensuite le Consommé à la serviette.


Pour 4 litres de Consommé de Volaille.

Quantité de Consommé Blanc : La même que ci-dessus.
Eléments nutritifs et aromatiques : Sont les mêmes, en augmentant les éléments nutritifs de : Mêmes éléments de clarification, procédé, et temps, que pour le Consommé Ordinaire.


Pour 4 litres de Consommé de Gibier.

Consommé Simple de Gibier : 4 litres trois quarts.
Eléments nutritifs : Eléments aromatiques : Eléments de clarification : 3 blancs d'oeufs.
Temps nécessaire : 55 à 60 minutes.
Procéder comme il est dit pour la conduite de la clarification.


Pour 4 litres de Consommé double de poisson.

Consommé Simple de Poisson : 4 litres.
Eléments de renforcement, aromatiques, et de clarification : Temps nécessaire : 25 à 30 minutes.
Principe de clarification :

Observation sur la Clarification des Consommés de Poisson.

La Clarification du Consommé de Poisson peut se faire, en diminuant de moitié la quantité de chair de poisson, et en la remplaçant par 30 grammes de caviar par litre de Consommé.
On peut la faire également rien qu'avec du caviar, à raison de 60 grammes par litre de Consommé simple, et en procédant ainsi : Passer ensuite le Consommé à la mousseline.
S'il doit attendre, le tenir au bain, et couvert, pour éviter la formation d'une pellicule gélatineuse à la surface.