Les Fritures
La Friture est l'un des principaux agents du travail culinaire, car, très nombreuses sont les préparations traitées par son concours.
Sa conduite est régie par des lois et des règles formelles qu'il est prudent de ne point enfreindre, parce qu'il en peut résulter le double danger d'échecs certains et d'accidents probables.
- Les uns s'évitent avec facilité quand on est familiarisé avec la conduite de la friture et que l'on y apporte toute l'attention voulue ;
- les autres se préviennent par une prudence qui a grandement sa raison d'être et dont on ne doit jamais se départir.
La question des ustensiles où se traitent les opérations ressortissant à la friture n'est pas aussi insignifiante qu'on le croit généralement ; car c'est souvent de là que naissent de regrettables accidents. L'imprudence, la brusquerie de l'exécutant y sont bien parfois pour quelque chose ; mais ils sont causés le plus souvent par des ustensiles défectueux et d'un maniement difficile.
Les ustensiles à friture doivent être en cuivre, ou autre métal résistant ; d'une seule pièce, de forme ronde ou ovale, et de dimensions suffisantes, en profondeur surtout, pour que, remplis seulement de graisse à moitié, il y ait assez de celle-ci pour le traitement des objets.
Il y a là une précaution qui s'explique en ce sens que, si l'ustensile contient trop de graisse, son moindre déplacement brusque sur le fourneau projette celle-ci sur les plaques, risquant de brûler le friturier.
Enfin, les ustensiles à parois droites sont préférables à ceux dont les parois sont légèrement obliques, surtout dans les grandes cuisines, où le travail nécessite un emploi considérable de graisse, qui exige, par conséquent, de très grands ustensiles.
Est bonne pour la friture, toute graisse animale ou végétale qui, à une pureté absolue, joint une force de résistance à la chaleur qui lui permette d'atteindre, sans brûler, un très haut degré calorifique.
Cependant, nous répudions absolument l'emploi, dans les grandes fritures, de graisses cuites clarifiées, comme celles de Marmite et de Rôtis.
Une friture n'est parfaite, et susceptible de fournir un travail prolongé qu'autant qu'elle est composée de graisses neuves (crues) choisies avec soin, et purifiées à fond par la cuisson.
Dans aucun cas, le beurre ne peut être employé comme grande friture ; attendu que, même étant parfaitement purifié, il ne peut atteindre qu'un faible degré calorifique.
Ce n'est donc qu'à titre de petite friture occasionnelle qu'il peut être employé.
La graisse de rognon de boeuf est celle qui sert de base aux grandes fritures. Elle est préférable entre toutes, en raison de son prix peu élevé et du long travail qu'elle peut fournir, si elle reçoit les soins voulus, soit pour sa préparation, soit pendant son usage.
La graisse de veau donne une friture fine, mais sans résistance à la fatigue, et elle doit être appuyée de graisse de boeuf.
La graisse de mouton est à écarter, sans aucune hésitation, parce que :
- si elle provient d'un sujet vieux, elle porte un goût de suif ;
- si elle est issue d'un sujet jeune, elle fait mousser la friture, laquelle risque de déborder et de causer de sérieux accidents.
La graisse de porc, ou panne, soit seule, soit associée à une autre graisse fournit une excellente friture ; mais son prix élevé fait qu'on l'emploie plutôt comme condiment.
Au résumé, c'est la graisse de rognon de boeuf qui convient le mieux pour la friture de grand travail.
Les fritures de cuisines bourgeoises dont la fatigue est moindre, peuvent se composer de moitié graisse de rognon de boeuf et moitié graisse de veau, ou comporter deux parties de graisse de boeuf, une partie de graisse de veau et une partie de graisse de porc.
La graisse pour friture ne doit pas seulement subir une fonte, mais une cuisson complète qui en assure la purification.
Si elle est insuffisamment cuite, elle mousse au début de sa mise en usage et nécessite beaucoup de précautions, jusqu'à ce que des calorifications répétées l'aient mise au point.
En plus, si elle n'a pas été purifiée à fond, elle pénètre avec facilité les objets qui sont plongés dedans, et les rend indigestes.
Toute graisse destinée à faire de la friture doit être coupée en menus morceaux. et mise en casserole avec la valeur de trois quarts de litre d'eau par 5 kilos de graisse.
Cette eau a pour but de préparer et de faciliter la fonte de la graisse, parce que, en se vaporisant elle la pénètre et dissocie les tissus des cellules qui contiennent la graisse proprement dite.
Tant que cette eau n'est pas complètement évaporée, la graisse ne subit qu'une désagrégation due à la dissociation des cellules qui la composent ; c'est seulement quand elle ne contient plus aucune humidité que commence sa cuisson réelle, complétée par sa purification.
La graisse est au point lorsque :
- les membranes qui l'enveloppaient restent seules, sous forme de rillons rissolés ;
- lorsqu il s'en dégage une fumée blanche sensible à l'odorat.
Comme cette graisse détient, à ce moment, une très forte chaleur, il est prudent de la tenir hors du feu pendant 10 minutes, avant de la passer au tamis ou à travers un fort torchon, en tordant celui-ci fortement.
La température extrême qu'une friture est susceptible d'atteindre, est en raison directe de la nature de la graisse qui la compose et de sa pureté.
Les différents degrés calorifiques se résument, dans la pratique culinaire, par les indications :
- Moyennement chaude
- chaude
- et très chaude.
Le terme friture bouillante pour la désigner à une température élevée, est impropre, et ne devrait jamais être employé.
Le Beurre, friture occasionnelle comme nous l'avons dit, ne peut, au naturel, dépasser 120 degrés sans brûler; tandis que, purifié à fond, il atteint de 132 à 135 degrés, ce qui est notoirement insuffisant pour un travail de grande friture.
Les graisses animales, employées pour les fritures ordinaires, marquent :
- 135 à 140 degrés quand elles sont moyennement chaudes
- 155 à 160 degrés quand elles sont chaudes
- 180 degrés quand, très chaudes, elles fument légèrement.
La graisse de porc, ou panne, employée seule, atteint 200 degrés sans brûler.
La graisse d'oie très pure supporte 220 degrés et même plus.
Les graisses végétales peuvent atteindre sans brûler :
- Beurre de coco : 250 degrés.
- Huiles ordinaires : 270 degrés.
- Huiles d'olives pures : 90 degrés.
Les degrés calorifiques de la friture se constatent ainsi :
- Elle est moyennement chaude quand, si on jette dedans une feuille de persil ou une croûte de pain, elle se met immédiatement en travail.
- Elle est chaude lorsqu'elle crépite si on jette dedans un objet légèrement humide.
- Elle est très chaude lorsqu'il s'en dégage une fumée sensible à l'odorat.
Le premier terme calorifique - moyennement chaude - est applicable :
- A toutes substances qui contiennent de l'eau de végétation dont l'évaporation est nécessaire, et concorde avec un commencement de cuisson.
- Aux poissons dont l'épaisseur de filets nécessite une cuisson par pénétration, précédant la cuisson par concentration.
Dans cette première phase de son emploi, la friture n'opère donc qu'une sorte de travail préparatoire.
Le second terme calorifique - chaude - s'applique aux objets qui ont déjà subi un commencement de cuisson par évaporation ou pénétration ;
- soit pour en compléter la cuisson,
- soit pour les envelopper d'une couche rissolée.
Il est applicable également aux objets sur lesquels la friture doit agir immédiatement par concentration ; c'est-à-dire former autour de l'objet en traitement une enveloppe rissolée, susceptible de s'opposer à l'échappement des substances de l'intérieur.
Sont traités a ce degré :
- Tous objets panés à l'anglaise ou trempés dans la pâte à frire, comme :
- Croquettes diverses,
- Cromesquis,
- Eléments traités à la Villeroy,
- Fritots et
- Beignets de toutes sortes.
Dans ce cas, la friture agit par le saisissement qui, dans certains cas, est d'une urgence absolue.
- S'il s'agit d'objets panés à l'anglaise, le brusque contact de la graisse chaude transforme aussitôt en croûte l'enveloppe d'oeuf et de mie de pain ; et cette croûte, dont la résistance augmente au fur et à mesure de la cuisson, s'oppose à la sortie des substances et de la sauce liquéfiée renfermées à l'intérieur.
Si ces objets étaient plongés dans la friture pas assez chaude, non seulement l'enveloppe d'oeuf et de mie de pain se chargerait de graisse, mais elle risquerait de se désagréger et de laisser échapper dans la friture les substances qu'elle a pour rôle de contenir.
- Les mêmes faits se produisent lorsqu'il s'agit d'objets trempés dans la pâte à frire :
- d'où l'urgence absolue d'en assurer le saisissement, c'està-dire la solidification immédiate de l'enveloppe de pâte.
Comme les substances qui composent ces différents objets sont cuites à l'avance, il s'ensuit que leur réchauffement et la coloration de leur enveloppe se font en même temps et en quelques minutes.
Le troisième terme calorifique - très chaude - s'applique
- à tout objet pour lequel est nécessaire un saisissement violent ;
- à tous objets de petit volume pour lesquels le saisissement est chose capitale et dont la cuisson se fait en quelques secondes ; comme les fritures de petits poissons.
Comme suite logique à la série de la Cuisson des Poissons, nous l'avons indiqué leur traitement par la friture et le genre de celle-ci. Nous renvoyons donc, pour ce sujet, au chapitre du Poisson, série des Cuissons.
Elle doit être proportionnée à la quantité, ou au volume des objets qui sont plongés dedans, et qui doivent toujours s'y trouver complètement immergés.
Sans pousser à l'exagération, la quantité de friture doit être plutôt élevée par la raison que :
- plus grande est la quantité de graisse,
- plus est élevée la somme de calorique qui s'y accumule,
- et moins est à craindre le refroidissement subit provoqué par l'immersion des objets à frire.
Ce refroidissement ne peut être évité que si on dispose d'un foyer très puissant, susceptible de rétablir promptement l'équilibre calorifique ; c'est-àdire capable de rendre en quelques secondes, à la friture, le degré de chaleur qu'elle avait avant l'immersion des objets.
Il est également important de limiter la quantité des objets, et il est préférable d'opérer en plusieurs fois plutôt que de surcharger la friture.
Toutes les fois qu'une friture est mise en travail, elle doit, après simple fusion, être passée à travers un torchon, parce que la plupart des objets qui ont cuit dedans précédemment, y ont laissé des résidus qui seraient préjudiciables à ceux qui doivent y être traités ensuite.
En effet, les objets panés y laissent toujours quelques grains de chapelure qui, à la longue, s'y transformeraient en poudre noire ; de même que les objets farinés y laissent quelques parcelles de farine qui, en s'accumulant au fond de l'ustensile, y formeraient un résidu bourbeux.
Or, non seulement ces résidus troubleraient et pourraient même faire brûler la friture ; mais encore, l'odeur qu'ils dégagent serait très nuisible aux objets frits par la suite.
C'est pourquoi les fritures doivent être passées toutes les fois qu'elles ont servi. Le traitement des objets plongés dedans l'exige et, de ce soin élémentaire, dépend leur service plus ou moins long.
