Le Braisage


Les braisés ordinaires

Les Braisés sont, parmi les différentes préparations culinaires, les plus coûteuses et les plus difficiles à bien réussir. Ce n'est que par une pratique longue et attentive que le cuisinier se familiarise avec les difficultés de ce genre de traitement.
En plus, en dehors des soins minutieux qu'il exige et de la qualité des viandes traitées, qui a autant d'importance pour les Braisés que pour tout autre mode de cuisson, il faut encore, pour obtenir un bon Braisé, disposer d'excellent jus de mouillement et d'un fonds de braise bien préparé.


Les Viandes à Braiser

Les viandes destinées à être braisées n'ont pas besoin, comme celles qui doivent être rôties, de provenir d'animaux jeunes.
Les meilleures sont fournies par des animaux Passé cet âge, on peut difficilement compter sur une bonne viande ; il devient alors nécessaire de prolonger outre mesure le temps de cuisson, et encore n'obtient-on, généralement, qu'une viande filandreuse et sèche.
En réalité, les viandes provenant de bêtes vieilles ne conviennent qu'à un seul usage en cuisine : la préparation des Consommés et des Fonds divers.


Pour Larder les Viandes

Lorsque les viandes à braiser proviennent de l'aloyau ou de la côte de Boeuf, elles sont persillées, c'est-à-dire sillonnées de veines de graisse, ce qui est un indice certain de bonne qualité et une assurance de tendreté.
Il n'en est pas de même pour les parties provenant de la cuisse de Boeuf ou du Gigot de mouton.
Ces viandes ne sont pas assez grasses par elles-mêmes pour empêcher qu'une cuisson prolongée ne les sèche.
C'est pourquoi on y remédie en les lardant, c'est-à-dire en les traversant de part en part, dans le sens du fil de la viande, avec des lardons ayant environ un centimètre de côté.
Ces lardons doivent être d'abord


Pour mariner les viandes à braiser.

Qu'elles soient lardées ou non, les viandes destinées à être traitées par le braisage gagnent à être marinées pendant quelques heures avec les vins qui doivent servir à les mouiller, et les aromates du fonds de braise.
A cet effet, elles sont On les couvre alors avec le vin dont elles doivent être mouillées, et qui est généralement un vin ordinaire, blanc ou rouge, dont les proportions s'établissent à raison de 3 décilitres par kilo de viande.
Laisser les viandes mariner pendant 5 à 6 heures, en les retournant de temps à autre dans la marinade.


Le Fonds de Braise.

Celui-ci comporte :


Pour rissoler et marquer les viandes à braiser.

Lorsque les viandes sont marinées à point, les faire égoutter sur un tamis pendant une demi-heure ; puis, bien les éponger dans un linge sec.
Chauffer fortement dans une casserole à fond épais ou dans une braisière de dimensions proportionnées, de la graisse de Consommé clarifiée.
Le rissolage de la pièce devra donc être d'autant plus prolongé, c'est-à-dire que la couche rissolée qui enveloppe la pièce devra être d'autant plus forte, que la pièce sera plus grosse.
La pièce étant rissolée, la retirer de l'ustensile pour l'envelopper de bardes et la ficeler, si c'est une viande maigre.
Cette précaution n'est pas nécessaire s'il s'agit d'aloyau ou de côte de boeuf, ces pièces étant protégées naturellement par leur couverture de graisse.
Disposer alors dans le fond d'un ustensile de dimensions justement proportionnées au volume de la pièce : placer la pièce sur ce fonds. Laisser cuire la viande jusqu'au moment où, étant piquée profondément avec une fine aiguille à brider, il ne s'échappe plus de sang par la piqûre.
A ce moment se termine la première phase du braisage ; nous expliquerons un peu plus loin ce qui se produit pendant la seconde.
Relativement au fonds de cuisson, on procède de l'une ou l'autre des façons suivantes, selon le résultat que l'on désire obtenir :
  1. Si on désire conserver le fonds clair, il n'y a qu'à le passer à la mousseline sur la pièce de viande mise dans un autre ustensile propre, de grandeur juste suffisante pour la contenir, et à continuer la cuisson au four, jusqu'à ce que celle-ci soit complète, en arrosant souvent.
    Le fonds est alors lié à l'arrow-root, comme un jus lié ordinaire.
  2. Si on désire une sauce comme accompagnement de la pièce, le fonds de braisage est réduit de moitié ; puis on le ramène à sa quantité primitive par l'addition de deux tiers de Sauce Espagnole et un tiers de purée de tomate, ou l'équivalent en tomates fraîches.
    Cette sauce est versée sur la pièce, laquelle a d'abord été changée d'ustensile comme nous l'avons indiqué ci-dessus, et on termine sa cuisson en l'arrosant fréquemment.
Lorsqu'elle est cuite à point, ce qui se reconnaît quand la pointe d'un couteau pénètre aisément la viande sans rencontrer de résistance, on la retire avec précaution de la sauce.
Celle-ci est alors passée à la mousseline, et on la laisse reposer pendant 10 minutes pour permettre à la graisse de remonter entièrement à la surface, d'où elle est ensuite enlevée jusqu'au dernier vestige.
Finalement, la sauce est mise au point, soit par l'addition d'un peu d'excellent fonds si elle est trop épaisse, soit par réduction si elle était trop claire.


Ce qui se produit pendant la seconde phase du braisage.

Nous avons dit que, dans la première partie de l'opération, la pièce de viande devait être soumise à un rissolage d'autant plus prononcé que cette pièce est plus grosse.
Le but de ce rissolage est de refouler vers l'intérieur les sucs qui tendent à s'échapper, et de constituer ainsi autour de la pièce une sorte de cuirasse, qui va s'épaississant de la périphérie au centre, au fur et à mesure des progrès de la cuisson.
Sous l'influence de la chaleur du liquide qui baigne la viande, les fibres de celle-ci se contractent en forçant les sucs qu'elles contiennent à progresser vers le centre. Bientôt, la chaleur arrivant dans ce centre force les sucs, refoulés, comprimés de toutes parts, à se décomposer, à dégager l'excès d'eau qu'ils recèlent, laquelle se convertit en vapeur qui distend et dissocie les fibres directement soumises à son action.
Donc, pendant cette première phase, il est clair qu'il s'opère une concentration des sucs de la viande vers le centre de la pièce.

Dans la seconde phase du braisage, les faits se produisent en sens inverse.
En effet, la dissociation des fibres musculaires commence au centre de la viande, dès que la température y atteint une intensité suffisante pour vaporiser les sucs qui s'y trouvent rassemblés ; la tension de la vapeur dégagée par ces sucs augmente d'autant plus qu'elle ne trouve pas d'issue pour s'échapper.
Elle exerce donc une pression considérable sur les fibres, mais, cette fois, en sens contraire de la première, c'est-à-dire du centre à la périphérie.

Il arrive alors que les fibres cèdent à mesure que leur cuisson s'opère et que la pression augmente ; de sorte que, ce travail de dissociation ayant gagné petit à petit la couche extérieure rissolée, celle-ci est obligée de céder à son tour et de livrer passage aux sucs intérieurs qui se mêlent à la sauce, en même temps que celle-ci pénètre dans la viande, suivant un processus bien connu en physique sous le nom de Capillarité.
Cet instant du braisage est celui où les soins doivent être particulièrement attentifs.
Le fonds de braisage se trouve réduit considéràblement et ne couvre plus la pièce, car l'opération touche à sa fin.
La viande, se trouvant découverte, sécherait donc extrêmement vite, si l'on n'avait soin de l'arroser sans cesse et de la retourner, de façon à ce que le tissu musculaire soit constamment humecté et imbibé de sauce, afin de conserver au Braisé le moelleux et le fondant qui le caractérisent et le différencient des autres préparations.


Glaçage des viandes braisées.

Ce glaçage est rigoureusement nécessaire quand il s'agit de pièces devant être présentées ; mais il n'est pas indispensable, et il est même inutile si la pièce était servie toute découpée.
La pièce braisée destinée à être glacée est retirée de la casserole dès qu'elle est au point, et mise sur un plat à l'entrée du four.
On l'arrose légèrement avec un peu de son fonds de cuisson, jus ou sauce qui, réduit par la chaleur, ne forme bientôt plus qu'une mince pellicule sur l'objet à glacer ; on recommence l'opération jusqu'à ce que la pièce soit recouverte d'une enveloppe brillante.
Elle est alors retirée du four, dressée sur le plat de service et clochée jusqu'au moment de servir.


Observations diverses sur les Braisés.

  1. Lorsqu'une pièce braisée doit être accompagnée de légumes, comme le Boeuf à la mode, par exemple, on peut, à volonté, Le premier procédé est le meilleur, mais il se prête peu à un dressage correct ; c'est donc au praticien à juger, selon les circonstances, auquel des deux il doit donner la préférence.

  2. Nous devons signaler encore, en ce qui concerne la conduite des Braisés, deux pratiques assez répandues, mais absolument défectueuses.
La première de ces pratiques est le pinçage du fonds de braise. Dans ce cas, au lieu de disposer la pièce de viande rissolée, sur les légumes également rissolés à l'avance, on se contente de placer la viande, souvent même sans la faire rissoler, sur les légumes crus disposés au fond de la braisière, en l'arrosant d'un peu de graisse fondue, et on laisse les légumes rissoler jusqu'à ce qu'ils attachent légèrement au fond de la casserole.
A la rigueur, on pourrait admettre le procédé, si l'opération était bien conduite ; mais outre que ces légumes, rissolés seulement d'un côté, ne peuvent dégager la même saveur que ceux qui l'ont été des deux côtés, il arrive que, neuf fois sur dix, ce rissolage est prolongé de telle façon qu'il confine presque au brûlé, et il en résulte une amertume qui dénature complètement la saveur de la sauce.
En réalité, cette opération du pinçage est une caricature du mode de marquer les Braisés, en usage dans l'ancienne cuisine, où l'on ne préparait pas à l'avance les fonds de mouillement, et où les éléments de ces fonds cuisaient en même temps que le Braisé lui-même.

Cette méthode de l'ancienne cuisine était excellente, mais extrêmement coûteuse, puisque la pièce était braisée sur d'épaisses tranches de jambon cru et de rouelle de veau.
Aussi, la question d'économie l'a fait abandonner depuis longtemps ; mais la routine a maintenu la forme du procédé, en en supprimant le fond, c'est-à-dire la partie essentielle, et elle a aggravé cette erreur par la substitution d'os divers aux viandes jadis employées, et qui fournissaient les éléments du fonds.
C'est là la seconde pratique défectueuse que nous devons signaler dans la conduite des Braisés.
On sait que les os, même ceux de veau, qui sont le plus communément employés pour les fonds de braise, exigent au moins 10 à 12 heures de cuisson pour abandonner complètement leurs principes extractifs ; la preuve, c'est que des os soumis d'abord à une cuisson de 5 à 6 heures, et que l'on mouille de nouveau, donnent, après une nouvelle cuisson de 6 heures, plus de glace de viande que le premier fonds qui en a été tiré.
La glace obtenue avec ce remouillage a moins de saveur et se trouve être plus gélatineuse, il est vrai ; mais cette partie gélatineuse est non moins utile au fonds des Braisés que la partie savorique. C'est elle qui leur donne ce velouté, ce moelleux, que rien ne peut remplacer, et qui fait justement la qualité des sauces qui en sont tirées.

Si on ajoute des os crus à un Braisé, comme le maximum de temps pour la cuisson de celui-ci n'excède pas 4 à 5 heures, il arrive que ces os sont à peine désagrégés extérieurement quand la viande est cuite : ils n'ont donc pu fournir au fonds qu'une infime partie de leurs principes extractifs.
Dès lors, leur addition est pour le moins inutile.

De cette pratique défectueuse, il résulte un autre inconvénient : celui d'obliger à un mouillement considérable des pièces.

Or, il est établi et reconnu qu'un Braisé n'est parfait qu'autant que sa sauce est courte et corsée.
Partant, plus le mouillement sera abondant, moins la sauce sera succulente, et il en résultera en plus une sorte de lavage de la pièce.
C'est cette considération qui nous a fait indiquer l'emploi, pour le traitement des pièces braisées, d'ustensiles de contenance justement proportionnée à l'importance de ces pièces.
Et il s'explique que la viande devant, au début, être baignée par le fonds, plus l'ustensile sera juste, moins il faudra de fonds pour le mouillement, et plus ce fonds se trouvera corsé par l'addition des principes extractifs de la pièce de viande en traitement.


LES BRAISES DE VIANDES BLANCHES.

Les braisés de Viandes blanches, tels que les pratique la Cuisine moderne, ne sont pas, à proprement parler, des Braisés.
En effet, la cuisson des viandes s'arrête à la fin de la première des deux phases successives qui caractérisent les braisés à brun.
Il est vrai que l'ancienne Cuisine ne les comprenait pas de même, et que les grosses pièces, notamment celles de veau, étaient fréquemment cuites assez avant pour être détaillées à la cuiller.
On a renoncé à cette pratique, mais la dénomination est restée.

On braise à Blanc, les Carrés, Selles, Longes et Noix de veau ; les Fricandeaux et les Ris de veau ; les Dindonneaux et les Poulardes ; parfois aussi, quoique plus rarement, les Relevés d'agneau, comme Doubles, Barons ou Selles.
Le procédé est le même pour toutes ces viandes : seul, le temps de cuisson diffère selon le volume des pièces.
Le fonds de braise est le même que pour les Braisés à brun ; seulement les légumes sont simplement passés au beurre sans être colorés.
Le facteur de mouillement est toujours un Fonds Blanc.


Conduite des Braisés de Viandes blanches.

On les place ensuite dans un ustensile garni de fonds de braise, juste assez grand pour les contenir, et assez profond pour qu'elles ne touchent pas le couvercle de l'ustensile.
La pièce est alors mouillée avec un peu de fonds de veau que l'on fait tomber à glace, sur un feu modéré, et à couvert.
On ajoute encore autant de fonds qui est de même réduit à glace, et on mouille enfin la pièce à moitié de sa hauteur.

L'ébullition étant en marche, l'ustensile est mis au four de chaleur modérée ; suffisante cependant pour maintenir une ébullition lente et régulière du liquide.
Il est nécessaire d'arroser souwent la pièce pendant sa cuisson pour éviter qu'elle ne sèche :

Ceci explique pourquoi il est nécessaire de faire tomber à glace une certaine quantité de fonds avant de procéder au mouillement définitif de la pièce.
Si on mouillait directement en mettant la pièce en marche, le fonds ne serait pas assez corsé pour constituer l'enduit dont il est question plus haut, et la pièce sécherait forcément.

On reconnaît qu'une viande blanche braisée est au point, lorsque, en la piquant profondément avec une aiguille à brider, elle laisse exsuder, par la piqûre, un jus incolore : ce qui indique que la cuisson a atteint et décomposé le sang jusqu'au milieu de la pièce.
Ici est la différence considérable qui sépare les Braisés à brun des Braisés de viandes blanches.
Ces derniers sont, par le fait, presque des Rôtis, et ils ne peuvent être préparés qu'avec des viandes et des volailles absolument jeunes, bien grasses et tendres, car ils ne peuvent dépasser leur à-point de cuisson, qui est le même que celui des Rôtis, sans perdre immédiatement toutes leurs qualités.

Les viandes blanches braisées sont généralement glacées :